Préambule

Ces notes, comme l’ensemble de nos travaux, sont à visée académique, fruit d’un travail de recherche fondamentale indépendant des autorités compétentes en matière de santé. En matière de santé publique et pour toute question, nous recommandons de consulter et suivre les instructions officielles disponibles sur https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus.

Addendum au Rapport 10

Nous avons publié récemment un rapport sur le biais lié au sexe de la morbidité de COVID-19. D’une part nous cherchions à savoir si la distribution parmi les sexes dans la population générale des comorbidités suivies par Santé Publique France (SPF) permettait d’expliquer ce biais lié au sexe. En comparant les données de distribution des comorbidités dans la population générale avec celles (résumées) de SPF parmi les personnes atteintes par COVID-19 et admises en soins intensifs ne va pas dans le sens de cette hypothèse ; néanmoins, des données plus précises, actuellement indisponibles publiquement, seraient nécessaires pour pouvoir l’écarter définitivement. D’autre part, nous avions proposé qu’une maladie génétique liée au sexe, le déficit en G6PD, et qui n’est pas actuellement suivie dans le contexte de la pandémie de COVID-19, pourrait éventuellement expliquer le biais de morbidité lié au sexe. Un rapport récent de l’INSEE sur la distribution de la mortalité induite par la COVID-19 en fonction du pays de naissance (Papon et Robert-Bobée 2020) vient ajouter des arguments en faveur de cette hypothèse.

L’étude de l’INSEE montre que si la pandémie de COVID-19 est à l’origine d’une surmortalité en France, cette surmortalité est beaucoup plus forte parmi les personnes nées dans les pays d’Afrique hors Maghreb, les pays du Maghreb et en Asie. Or, la fréquence des déficits en G6PD est précisément importante dans ces régions (WHO working group 1989), pouvant approcher 40 % dans certains pays d’Afrique sub-Saharienne (Nkhoma et al. 2009).

L’étude de l’INSEE a étudié plusieurs facteurs qui pourraient contribuer à la surmortalité parmi les personnes nées dans les pays d’Afrique hors Maghreb, les pays du Maghreb et en Asie. Ainsi, en remarquant qu’une grande part des personnes nées hors France réside en Ile-de-France, elle a comparé la distribution de la surmortalité en fonction du pays de naissance dans l’Ile de France et le Grand-Est, les deux régions le plus touchées par la pandémie ; les résultats confirment les observations sur l’ensemble du pays, dans les deux régions la surmortalité étant beaucoup plus élevée parmi les personnes nées dans ces régions où les déficits en G6PD sont bien plus fréquents.

La densité de population des communes de résidence module l’expression de la surmortalité : bien que la surmortalité s’observe dans tous les cas où le nombre de décès permet de faire une comparaison statistique, le différentiel de surmortalité des personnes nées dans les pays d’Afrique hors Maghreb, les pays du Maghreb et en Asie est plus grand dans les communes densément peuplées que dans les communes où la densité de population est intermédiaire. D’autres facteurs sociologiques, comme le fait que ces personnes utilisent les transports en communs plus souvent que les personnes nées en France, pourraient peut-être aussi expliquer au moins partiellement ces surmortalités. En effet, des facteurs sociologiques, comme la pauvreté, semblent affecter la surmortalité imputable au COVID-19 (Brandily et al. 2020), bien que le lien entre surmortalité due au COVID-19, pays de naissance et niveau de pauvreté reste à être étudié. De même, les interactions entre pays de naissance et prévalence des comorbidités, en particulier l’obésité et le diabète, mériteraient d’être approfondies.

Mais plus en rapport avec l’objet de cette note, l’étude de l’INSEE montre qu’alors que parmi les personnes nées en France la surmortalité liée à la pandémie touche les hommes autant que les femmes (+25 % chez les femmes vs. +26 % chez les hommes), parmi les personnes nées dans les pays d’Afrique hors Maghreb, les pays du Maghreb et en Asie il y a un net biais lié au sexe, les hommes étant plus touchés : la surmortalité atteint respectivement +88 % (F) vs +131 % (H) pour les pays d’Afrique hors Maghreb, +44 % (F) vs +61 % (H) pour les pays du Maghreb, et +79 % (F) vs +101 % (H) pour l’Asie. L’étude de l’INSEE note par ailleurs que la sexe-ratio parmi les personnes nées hors France est très proche de celle parmi les personnes nées en France et ne peut pas expliquer les patterns de surmortalité observées. Ces observations sont très importantes pour comprendre le biais lié au sexe de la morbidité de COVID-19. En effet, elles suggèrent que ce biais n’existerait pas parmi les personnes nées en France, mais ne serait observé que parmi les personnes nées dans des pays où les fréquences des déficits en G6PD sont relativement élevées. Bien entendu, nous sommes encore très loin de pouvoir même établir des corrélations, sans parler d’une preuve de l’implication de ces déficits dans l’explication du biais lié au sexe, les données disponibles ne permettant pas de tenir compte de facteurs sociologiques qui pourraient peut-être affectée aussi l’expression de la morbidité en fonction du sexe. Il n’en reste pas moins que ces observations vont dans le sens d’une implication de ces maladies génétiques, qui mériteraient sans doute que l’on y prête plus attention.

À ce titre, il est dommage que plusieurs études cherchant à mettre en évidence des facteurs génétiques potentiellement liés à la morbidité de COVID-19, le font en traitant le sexe, tout comme l’âge par ailleurs, comme des « facteurs de nuisance ». En opérant ainsi, ces études espèrent trouver des facteurs génétiques « universels », ignorant de fait la biologie de SARS-CoV-2 dont la morbidité est clairement modulée par l’âge et le sexe. Ce mode opératoire interdit à ces études de détecter des facteurs liés au sexe, et explique peut-être pourquoi les études d’association génétique ne trouvent que rarement des facteurs liés à la morbidité de COVID-19, et quand c’est le cas d’effet faible. Il serait sûrement plus productif d’accepter la biologie du virus et l’intégrer dans ce type de recherche.

Références citées

Brandily, P., Brébion, C., Briole, S., Khoury, L., 2020. A poorly understood disease? The unequal distribution of excess mortality due to COVID-19 across French municipalities. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02895908

Nkhoma, E.T., Poole, C., Vannappagari, V., Hall, S.A., Beutler, E., 2009. The global prevalence of glucose-6-phosphate dehydrogenase deficiency: A systematic review and meta-analysis. Blood Cells, Molecules, and Diseases 42, 267–278. https://doi.org/10.1016/j.bcmd.2008.12.005

Papon, S., Robert-Bobée, I., 2020. Une hausse des décès deux fois plus forte pour les personnes nées à l’étranger que pour celles nées en France en mars-avril 2020. INSEE Focus 198. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4627049

WHO working group, 1989. Glucose-6-phosphate dehydrogenase deficiency. Bulletin of the World Health Organization 67, 601–611. https://apps.who.int/iris/handle/10665/264721

Sources et remerciements