La nature parcellaire en temps (délai) et en espace (échantillonnage) des données de criblage d’une part, et l’incertitude sur plusieurs paramètres (virulence intrinsèque, durée de séjour en soins critiques) d’autre part appellent à prendre avec précaution les résultats préliminaires suivants, qui ont vocation à être mis à jour dans le temps. Pour une analyse rétrospective critique des projections, voir Sofonea & Alizon (2021).
L’ensemble de nos rapports sur la pandémie de COVID-19 est disponible sur cette page.
En matière de santé publique et pour toute question, nous recommandons de consulter et suivre les instructions officielles disponibles sur https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dispose aussi d’un site très complet https://www.who.int/fr/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019.
Après l’émergence du variant Delta, la rentrée scolaire 2021 a été un succès de contrôle de l’épidémie en France avec un nombre de reproduction (\(R_t\)) inférieur à 1 en août comme en septembre. Cette réussite ne peut s’expliquer que par la combinaison de plusieurs facteurs au premier rang desquels la hausse de la couverture vaccinale au cours du mois d’août, le passe sanitaire et le respect des gestes barrière. L’arrivée de l’automne (jours plus courts et plus froids) et des changements de comportement associés, l’épidémie a recommencé à croître au mois d’octobre (\(R_t \approx 1.1\)) avec une accélération au mois de novembre (\(R_t \approx 1.2\)). La fin du mois de novembre et le début du mois de décembre ont été marqués par un ralentissement de l’épidémie, là encore multi-factorielle et vraisemblablement liée à l’extension de la 3e dose vaccinale et à des changements comportementaux des français⋅e⋅s. On pouvait donc espérer une tendance relativement favorable si la baisse du nombre de reproduction se poursuivait sous la valeur critique de 1.
La situation précédente est malheureusement bouleversée par l’évolution virale et l’émergence du nouveau variant Omicron, détecté pour la première fois le 26 novembre grâce à la qualité du système de surveillance sud-africain. En France, notre équipe a informé Santé Publique France et le Conseil Scientifique le 13 décembre que les tests de criblage réalisés par le laboratoire CERBA suggéraient une augmentation de ce variant, avec un avantage de 50 % par rapport au variant Delta. Comme détaillé dans notre Rapport 15, depuis la semaine du 22 novembre, cette propagation semble s’être accélérée pour atteindre de l’ordre de +100 %, soit une propagation deux fois plus rapide que le variant Delta. Cette tendance est cohérente avec celles observées dans la plupart des autres pays (voir p.ex. UKHSA). Selon nos estimations, les tests de criblage devraient être majoritairement indiquer du Omicron durant la semaine du 20 décembre. Étant donné que les tests ont lieu 4 à 7 jours après infection, Omicron pourrait être devenu majoritaire la semaine précédente. Il est donc urgent d’anticiper les conséquences de la propagation de ce nouveau variant.
Notre équipe a développé COVIDSIM, un modèle mécanistique d’inférence et de simulation de l’épidémie de COVID-19 en France, qui permet d’explorer des scénarios selon des hypothèses variables.
Une première version de modèle a été décrite dans notre Rapport 9 et publiée dans la revue Epidemics. Ses principales propriétés et les ajouts qui ont été réalisés depuis la version initiale sont les suivants :
le modèle capture le changement de probabilité de contagion et de transition selon le temps passé dans chaque dans chaque compartiment clinico-épidémiologique (effets mémoires),
la transmission n’est pas différenciée selon l’âge mais la probabilité de développer des formes critiques, d’être admis en soins critiques, de décéder du COVID-19 est stratifiée en âge selon les données publiées (p.ex. O’Driscoll et al (2020)),
les paramètres du modèle correspondent à l’épidémie française : leur valeur initiale provient de données de la littérature, de rapports techniques ou de travaux préliminaires, puis sont régulièrement ajustés pour rendre compte de la dynamique hospitalière,
la vaccination suit les données de campagne nationale de vaccination avec des hypothèses simplificatrice (immunité acquise lors de la deuxième dose), alors que la proportion de personnes déjà infectées est le résultat de la reconstruction de l’épidémie par le modèle,
l’immunité de la population peut être naturelle post-infectieuse (hypothèse de 15% d’infectés immunologiquement naïfs, le reste étant considéré définitivement protégé), soit vaccinale avec une protection de 80 % contre l’infection et de 95 % contre les formes sévères, sans déclin au cours du temps (configuration optimiste),
la baisse de contagiosité des personnes infectées après vaccination est arbitrairement fixée à 50% (une valeur légèrement plus élevée que nous avions estimé dans cette pré-publication),
L’objectif de la modélisation est d’explorer l’impact du variant Omicron sur l’activité hospitalière nationale en soins critiques. Le modèle n’a pas l’ambition ici de prédire mais de produire des tendances selon des hypothèses qui, dans une démarche conservative en faveur du statu quo, sont arbitrairement optimistes pour la plupart.
l’ensemble des personnes vaccinées est homogène (pas de stratification en fonction du nombre de doses), ce qui revient à faire une hypothèse que la 3e dose est rapidement généralisée à l’ensemble de la population,
pas de baisse de l’efficacité vaccinale au cours du temps,
la proportion de personnes précédmment infectées qu’Omicron peut réinfecter est identique à celle de Delta (15%),
le temps de génération (nombre de jours entre le moment où une personne est infectée et où elle en infecte une autre) est inchangé,
aucun effet ‘réveillon’, ni ‘vacances’ ni ‘reprise scolaire’ ni métérologique n’est considéré,
le nombre de reproduction de l’épidémie (\(R_t\)) croît depuis 1,08 aujourd’hui (23 décembre 2021) pour atteindre 1,25 au 28 décembre et 1,5 au 7 janvier, ce qui correspond à une baisse de 10% du nombre de reproduction au pic par rapport à ce qui serait attendu en extrapolant la croissance actuelle d’Omicron d’après les données de criblage),
à partir du 15 janvier, un ralentissement de l’épidémie se produit du fait de mesures, de changement spontané du comportement et/ou d’une saturation naturelle liée à la structure spatiale avec une baisse du \(R_t\) à 0.95
pas de raccourcissement du séjour en soins critiques (un signal existe dans ce sens, il fera l’objet d’analyses ultérieures),
On distingue ensuite deux scénarios en fonction des hypothèses liées à l’immunité vaccinale et à la virulence du virus :
scénario “optimiste” avec une division par 3 de la probabilité de développer une forme critique par rapport à Delta, une efficacité vaccinale de 75 % vis-à-vis de l’infection et de 95 % vis-à-vis des formes critiques (donc un excellent effet de la 3e dose)
scénario “pessimiste” où la probabilité de développer une forme critique n’est divisée que par 2 par rapport à Delta et où l’efficacité vaccinale n’est que de 40 % vis-à-vis de l’infection et de 80 % contre les formes critiques.
Le graphique ci-dessous indique la tendance au niveau de l’occupation des services de soins critique au niveau national pour les différents scénarios envisagés. À ce stade il est impossible de dire lequel de ces scénarios est le plus vraisemblable. Il ne s’agit qu’une exploration du champ des posssibles.
Les résultats indiquent une tendance avec deux pics hospitaliers rapprochés. Le premier pic a lieu avec le 1er janvier 2022 et correspond à la vague de Delta hivernale décrite ci-dessus (puisque les infections ont lieu plus de 2 semaines avant les hospitalisations).
Avec un ralentissement prononcé de l’épidémie au 15 janvier, un second pic se profile au mois de février. En fonction des hypothèses concernant l’efficacité de l’immunité et la virulence du variant Omicron, qui sont pour le moment toutes les deux relativement incertaines, ce pic pourrait dépasser ou non les capacités nationales hospitalières en soins critiques (autour de 5000 lits au début de la pandémie mais évolutif selon les fermetures et les réorganisations survenues entre-temps et à venir).
Logiquement, les deux courbes ne diffèrent qu’à partir de janvier puisque les deux scénarios ne diffèrent que par des hypothèses sur Omicron et pas sur Delta.
Outre la constance de la durée moyenne de séjour en soins critiques, les hypothèses sont optimistes : 3e dose quasiment généralisée dès la fin de l’année, pas de baisse d’efficacité vaccinale, plafonnement du R à 1.5, baisse prononcée de la circulation épidémique au 15 janvier (-37 %). À noter simulations préliminaires (non représentées ici) avec une durée moyenne de séjour en soins critiques divisée par 2 montrent que le pic hospitalier de la 6e vague serait équivalent à celui de la 5e vague (niveau d’occupation actuel), mais qu’il faudrait malgré tout attendre mi-février pour observer une décroissance du nombre de patients COVID-19 en soins critiques, sous le seuil national de 3000 lits.
Une limite importante est que ce modèle ne rend compte que d’un unique aspect de la tension hospitalière, à savoir l’occupation par des patients COVID-19 de lits de réanimation, de surveillance continue et de soins intensifs. Or la tension hospitalière induite par la 5e et la 6e vague de COVID-19 en France concerne l’essentiel des services et spécialités médicales (hospitalisations conventionnelles, urgences, déprogrammation de blocs opératoires, diagnostics et suivis…) et affecte l’ensemble des personnels soignants, considérablement sollicités et éprouvés depuis près de deux ans. L’incidence fulgurante d’Omicron attendue pour les semaines à venir fait craindre qu’un grand nombre d’entre eux soient infectés ou deviennent cas contact sur une courte durée, induisant des problèmes d’effectifs sans précédent, majorés par la circulation saisonnière des maladies respiratoires, dont la grippe.
Ceci souligne donc l’ampleur du risque et la nécessité de renforcer le port du masque bien ajusté (idéalement FFP2 quand cela est possible), l’aération et la ventilation des lieux clos, le suivi/tracer/isoler et la vaccination, d’autant plus que plusieurs de ces mesures seront aussi efficaces contre les autres infections respiratoires.
Nishiura et al. (2020) Serial interval of novel coronavirus (COVID-19) infections Int J Inf Dis
O’Driscoll et al. (2020) Age-specific mortality and immunity patterns of SARS-CoV-2. Nature
Salje et al. (2020) Estimating the burden of SARS-CoV-2 in France. Science
Sofonea et al. (2021) Memory is key in capturing COVID-19 epidemiological dynamics. Epidemics
Sofonea & Alizon. (2021) Anticipating COVID-19 intensive care unit capacity strain: A look back at epidemiological projections in France. Anaesth Crit Care Pain Med
Sofonea et al. (2021) Quantifying the real-life impacts of vaccination on critical COVID-19. OSF
UK Health Security Agency (2021) SARS-CoV-2 variants of concern and variants under investigation in England: technical briefing 32. gov.uk
Données de criblage : Laboratoire CERBA ; données hospitalières COVID-19 (SI-VIC) : Santé Publique France.
L’équipe de modélisation de l’équipe ETE (dont plusieurs membres ne sont plus sur Montpellier) a compté parmi ses membres Samuel Alizon, Thomas Beneteau, Corentin Boennec, Marc Choisy, Gonché Danesh, Ramsès Djidjou-Demasse, Baptiste Elie, Alexander Massey, Yannis Michalakis, Claudia Ximena Restrepo Ortiz, Bastien Reyné, Quentin Richard, Christian Selinger et Mircea T. Sofonea.
Contributions à ce travail :
réalisation des analyses : MTS et SA
rédaction du rapport : SA et MTS
contact : mircea.sofonea@umontpellier.fr et samuel.alizon@cnrs.fr
Ce travail a été en partie soutenu par le financement PHYEPI de la Région Occitanie en juin 2020 (géré par l’ANR) et par l’Université de Montpellier.
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